samedi 20 octobre 2012

Sergei Loznitsa — Polustanok (The train stop) (2000)

              


        LA STATION             




       
     


        Ce film Biélorusse est venu percuter ma Fovéa par hasard, un jour de fin Septembre. Réalisé en 2000 il a été diffusé une seule et unique fois sur la Télévision française quelques années après. Il m'a une fois de plus fait comprendre beaucoup de choses sur le traitement cinématographique et sa fonction qu'elle soit sensorielle ou sociale. La place du regardeur face à l'objet. Je vais vous conter mon expérience, ma perception relative à la réception de ce film :

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         En premier lieu, la surprise, écriture ressemblant au Russe sur fond noir. Le cinéma Russe depuis longtemps, certain me comprendrons, m'émeut, me transporte,me parle et me fait vibrer.
ANDREÏ TARKOVSKI ( Solaris - Le Miroir - Stalker - Le Sacrifice etc... ) en premier, mais plus récemment ALEXANDER SOKOUROV ( Le Soleil - Faust etc... ). Ça y est, déjà j'étais prêt à me plonger dans l'objet, empli d'un bon pré-sentiment . Bon? Je ne sais pas, mais j'ai ressenti et c'est ce que je recherche au cinoch'... Ressentir des émotions que je n'ai jamais vécues (parce qu'elles se vivent) et approcher des sensations mises en éveil par mon cerveau en fonction des images et des sons. Je crois ressentir le froid, les odeurs, l'inconfort, avec une rumeur effleurant mes tympans, douce ou forte mais jamais nuisible ici.
          La lenteur. Ou la faculté à percer le temps qui obscurcit notre perception pour voir au travers et plonger dans l'écran. Vivre l'expérience. Parfois vivre la mort, ou voir la vie, de loin. C'est ma perception de ce que RAOUL RUIZ appelle "une haute qualité d'ennui" mais pour moi ce mot est trop péjoratif pour ce film. Il se passe, quoi qu'on puisse en penser, trop de choses dans Polustanok (The train stop)-LA STATION pour qu'on le rattache à l'ennui. Ce n'est pas parce qu'on est seul, nous face à l'écran, à ne pas dormir que l'on devrait s'ennuyer, bien au contraire. "Une haute qualité d'ennui" pour moi se rapprocherai plus à un film de BRUNO DUMONT comme son dernier Hors Satan, ou la lenteur est là pour qu'on se force à voir et à ressentir, pour qu'on se pose des questions (et chacun a les siennes). Là, oui, il y a ennui et passé cette chose désagréable, nous repartons avec un bouquet d'émotions plus ou moins malsaines et incommodes, avec en prime des interrogations en fard d'eau. C'est riche, mais ici nous ne repartons pas avec un poids sur les épaules, mais comme si nous étions reposé.

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        Mais tout d'abord, j'ai rapidement pensé à la relation entre la vie et la mort dans ce film. Ce qui m'a un moment angoissé : 

Premier plan, l'épaisse vapeur de ce qu'on peut distinguer d'une locomotive souffle sa gerbe vaporeuse vers le ciel sombre de la nuit. On découvre le noir et blanc très contrasté, un clair obscur inquiétant et une contre plongée écrasante. La nuit vit, les grillons chantent, d'une maisonnette sur un quai émane une lumière très ponctuée sur la façade. Et d'un cut à l'autre, nous rentrons dans cette maisonnette, on découvre un monde, comme une naissance ou nos yeux ne sont pas adaptés à autant de lumière. On voit flou, on distingue quelques formes, des gens. Tous ces gens, coupés de l'extérieur hostile, nocturne et glacé, dorment à l'unisson. Le temps humain s'est arrêté, et le monde tourne, les mouches sont vivaces, le bois travaille, grince comme sur le pont d'un bateau. Parfois de personnes en personnes on se demande ce qu'on voit, parfois des peintures, des Caravage délavés de leur couleurs mais gardant leur aspect vivant. On se laisse emporter, de portrait en portrait, de plans moyens aux gros plans, toujours en contre plongée ou en plan face mais jamais de supériorités. Premier gros plan, un jeune, statique respirant doucement. Je vois la vie mais je sens déjà la mort arriver avec le vignettage voilant beaucoup ce visage. Cut,et là, malheur! Un gros plan encore plus rapproché sur le crâne d'un vieux prenant tout l'écran avec sa tête posée sur ses mains qui ont manifestement vécues. Mortuaire interprétation, la jeunesse et la vieillesse juxtaposées, il fallait que je me détache de ça...
Je préfère me replonger dans l’innocence d'une première vision. Je déteste me laisser envahir par les constantes interprétations qui sont souvent des "extrapolations" et qui existent juste pour soulager mon cerveau qui cherche désespérément des réponses. Je respire. Je regarde un nouveau jeune, plus jeune, dormant face à la lumière, les yeux ouverts comme réticents au sommeil qui l'empli. Rapport dans l'axe, l'enfant qui dort les yeux ouverts, dort debout entre les jambes de sa mère. Espoir. Mais je ne peux m'empêcher de repenser à la mort, trop de signes me titillent l'esprit, un vieux maigre, allongé inconfortablement, les yeux fermés, dort avec comme sentinelle, une mouche nasillarde. Comment de pas penser à un camp de la mort ou être inquiet pour ce monsieur? Et là, c'est terrible! Le film plonge dans un pessimisme qui devient oppressant, ce que l'on voyait en détail, les rides, les cils, les chaussures, même floutés est ici, juste une silhouette. Dépersonnalisation. À ce point, une chose qu'on attendait plus se dégage : un mouvement. La vie revient peu à peu, les images deviennent plus nettes, comme si nous aussi nous nous réveillions peu à peu, le bruit de l'eau vient compléter le rythme des respirations et c'est une vraie rivière qui s'écoule dans nos oreilles, la vie, le commencement. Soulagement. Les gens se ressemblent, les casquettes résonnent entre elles comme un reflet dans un miroir. Je vois l'unité. L'unité entre ces hommes et femmes, jeunes ou vieux, au même endroit, au même moment, respirant à l'unisson. Nous sommes les seuls hors de cette unité, même si nous respirons comme eux à présent, sans que l'on s'en soit réellement rendu compte. La lumière vacille, le diaphragme de la caméra s’emballe, respire et aspire à des envies de vivre avec eux et de faire vivre ces dormeurs qui se fondent dans des formes qui nous révèlent leur vraies natures parfois juste par le pouvoir d'un geste.Des corps remplissent le cadre, on est serré avec eux à présent. Pas d'espace, mais du calme maintenant, quand la tempête est dehors. Lorsqu'une mamie se réveille, la mort n'est plus là, mais cette femme s'empresse de se recoiffer, féminine et faisant attention aux regards des autres, mais qui eux ne sont plus vraiment là. La lumière éclaire son visage comme le petit garçon, mais elle décide de replonger dans l'obscurité du sommeil. Un homme fume, puis des plans de chaussures en plongée, les seuls. Ces plongées montrent ces pieds comme un seul être. On sort sur le quai, le train va passer, une chouette hulule et une musique nous emmène vers le générique.

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        Si la forme lente de ce film suffit à le classer "expérimental", il n'en enlève pas l'histoire qui s'y développe. Nous vivons dans ce film, peut être plus que dans certain. Si nous vivons, nous voulons quelque chose, même à la base, à partir de la première minute nous recherchons quelque chose que SERGEÏ LOZNITSA ne veut pas nous donner. Il y a donc directement une histoire entre nous et le film. De plus, nous sommes en constante interaction avec nous même, on se cherche, on se questionne, on se trompe et on est hypnotisé. 
         L'expérimental est encore une fois de plus une façon de ranger dans des cases des objets étranges qui valent plus qu'un classement dans un genre puisqu'ils se suffisent à eux même. Ici ce serait la façon de découvrir un film qui ne ressemble à aucun autre et qui nous pose comme si nous étions la caméra, c'est à dire, en situation de regardeur. Mais finalement c'est très frustrant et on a envie d'y être. Ce film est plus un documentaire qu'une fiction, à mon sens. Tant il nous questionne sur le temps (nous sommes dans une gare) et sur l'espace déserté de la vie pour y laisser place aux songes qui nous soulagent de l'inconfort et des bruits parasites. C'est aussi une petite leçon d'observation de l'humanité. Parce que quand l'humain dort, il ne se souci pas de son apparence, il est en "standby", alors que quand la Mamie se réveille c'est la première chose à laquelle elle pense, le regard des autres devient un stress permanent qui nous a été amené par ce qu'on a appelé la civilisation.Bel héritage. C'est d'autant plus une histoire que ce film ai été diffusé à la Télévision, qu'il ai été vu avec un rayonnement important.Combien de temps les gens qui sont tombés sur ce film sont resté devant leur poste de TV?
Et croyez vous qu'ils ont eu l'impression de perdre leur temps? 
Si c'est le cas, ils ont raté plus gros, un très bon film.






Jordi Honoré